Bobigny : 20 % des audiences supprimées par manque de magistrats

Bobigny : 20 % des audiences supprimées par manque de magistrats

    Convoqués en janvier, jugés en novembre. C'est le lot de nombreux prévenus poursuivis pour trafic de drogue, mais pas seulement. En effet, 20 % des audiences judiciaires de Seine-Saint-Denis ont été supprimées en ce début d'année 2016. La raison est mathématique : les magistrats sont trop peu nombreux, depuis de récents départs non remplacés. Il reste 97 juges du siège (pour un effectif théorique de 124), et 44 magistrats du parquet (au lieu de 53), si l'on excepte neuf renforts temporaires.En septembre dernier, la situation s'était pourtant améliorée avec l'arrivée de renforts â?? il ne manquait que 10 juges sur 124. Quelques mois plus tard, elle est pire qu'avant.« Je n'ai jamais vu ça ! »« En 32 ans ici, je n'ai jamais vu ça! » commente, sidérée, une employée du tribunal, le deuxième de France au vu du volume d'affaires traitées. A Bobigny, les magistrats oscillent entre découragement et écÅ?urement.« Cette diminution d'audiences a été décidée, non pas pour libérer les magistrats, mais pour leur permettre de siéger, et leur charge de travail devrait même augmenter », précise Dominique Pittilloni, vice-présidente du tribunal (Union syndicale des magistrats). Le risque est de juger dans des délais trop longs, contraires à la convention européenne des Droits de l'Homme, et de mordre sur les délais de prescription, commente un avocat. A l'instruction, où deux juges sur quatorze ne sont pas remplacés, qui va traiter 160 dossiers y compris criminels ?Cinq ans pour juger les affaires de drogue« En matière de stupéfiants, nous avons un tel stock d'affaires que nous sommes obligés de juger cinq ans en moyenne après les faits », s'alarme de son côté Corinne Goetzmann, présidente de la 13e chambre correctionnelle, dédiée aux affaires de trafic de drogue. Depuis la création des zones de sécurité prioritaires (ZSP) par Manuel Valls, en 2012, le volume d'affaires de cette chambre a augmenté de 30 %. Pas les magistrats, toujours au nombre de six, si l'on met à part les congés longue durée, maladie ou maternité, puisque ce tribunal reste jeune et féminin. Trois fois cet automne, des audiences ont été renvoyées faute de personnel. « On n'est plus en capacité de juger tous les dossiers au pénal », lâche amère Corinne Goetzmann.Un an pour voir un juge en cas de divorceLes inquiétudes se font sentir à tous les étages du paquebot bleu de Bobigny, où les délais battent déjà des records : 15 mois pour les dossiers de surendettement et départage prud'homal, près d'un an pour mettre en place une mesure éducative. « Les villes d'Epinay, Saint-Ouen, Coubron, Vaujours et l'Ile-Saint-Denis n'ont pas de juge des enfants fixe, énonce Hélène Franco, du syndicat de la magistrature. On se répartit les dossiers mais on ne peut pas remplacer à plein un collègue sur un poste vacant. » La pilule est d'autant plus amère que ceux qui ont obtenu leur mutation ont rejoint le ministère de la Justice ou le département des affaires familiales à Paris, alors que Bobigny aurait bien besoin de renfort aux affaires familiales. Pour un divorce, il faut attendre un an pour voir le juge dans le 93, contre deux mois à Paris. « Si par malheur, il y avait des loupés judiciaires, il serait malvenu de chercher des responsabilités du côté des juges et des substituts », s'énerve un magistrat.Dans une lettre ouverte à la garde des Sceaux, le 7 janvier dernier, le représentant des avocats du 93 Stéphane Campana, évoque la possibilité d'engager une action de mise en responsabilité de l'Etat pour « déni de justice ».Le ministère de la Justice promet une améliorationâ?¦ d'ici fin 2016 « Une attention particulière est portée à la situation de Bobigny », tente de rassurer le ministère de la Justice, en rappelant le contexte national, avec une baisse de recrutement avant 2012. Depuis, chaque année, entre 358 et 482 magistrats ont été recrutés, contre une centaine auparavant. Sachant qu'il faut 31 mois pour former un juge, les efforts engagés permettront d'aboutir cette année avec un solde à nouveau positif sur l'ensemble du territoire. Sauf qu'à Bobigny, la situation est pire qu'ailleurs, les délais plus longs, la charge de travail plus lourdeâ?¦ au point que certains appellent de leurs vÅ?ux la création d'une « zone de justice prioritaire » à l'image de ce que fait l'Education nationale.De nouveaux diplômés arriveront en septembreRien de tel ne semble envisagé place Vendôme où l'on annonce toutefois des efforts à court et moyen termes : un juge d'instance nommé en janvier, l'arrivée de fonctionnaires en ce début d'année et de magistrats jeunes diplômés en septembre. Bobigny figurera aussi dans le « groupe de travail sur les juridictions en difficulté ».A Bobigny, l'annonce fait tousser. « Après les attentats de janvier et novembre, les pouvoirs publics n'ont manifestement pas pris la mesure des enjeux spécifiques qui pèsent sur ce département », regrettaient les robes noires dans leur motion fin 2015. Bonne nouvelle, toutefois, le nombre de postes prévus pour la juridiction devrait être revu à la hausse courant 2016. De quoi redonner un peu le sourire aux magistrats du tribunal, mais pas tout de suite.C.S.